Épisode
9
De
rouge et de noir
Michel
Roberge
Le 9 janvier. Ce mémorable
deuxième samedi de janvier 2010. L’Europe était alors handicapée par un froid glacial
et des chutes de neiges abondantes. La France n’y avait pas échappé avec de
nombreuses perturbations sur le réseau routier et des pannes d’électricité
localisées. Geneviève en avait un tout autre souvenir : traumatisant et obsédant.
Mais comment Elias
Armand avait-il pu être mis au courant de ce qui s’était passé, ce
jour-là, dans cet appartement de la rue du Temple ? Cet avertissement, rédigé à
la main sur un fragment de papier vergé écru, la troublait. Identique à celui d’un
manuscrit que lui avait fait parvenir à la fin de l’automne 2009 un jeune
auteur à ses toutes premières armes.
Sanglée dans sa robe
de chambre, Geneviève se précipita dans la pièce qui lui servait de bureau.
Tout semblait intact. Rien ne laissait paraître que son agresseur avait procédé
à une fouille, à la recherche d’une preuve tangible à exhiber aux autorités policières.
Dans une potiche servant d’appui-livres, elle récupéra nerveusement la clé du
tiroir où elle conservait le manuscrit original qu’elle avait à l’époque accepté
de publier. Mais que les événements l’en avaient empêché. Le document était toujours
à sa place, dans une enveloppe scellée. Ce qui suffit à peine à la rassurer.
Les images du passé qu’elle
croyait avoir enfouies dans les méandres les plus marécageux de son cerveau remontaient
déjà à la surface.
À l’époque, Geneviève
avait été séduite par la prose intimiste et décadente et subjuguée par le
charme maléfique d’un nouvel auteur, Francis T., un éphèbe musclé au visage
juvénile dont l’imaginaire lubrique et morbide était sans limites. Elle était surtout
convaincue de détenir le best-seller de la décennie qui rendrait jaloux le
milieu français de l’édition. Une romance noire écrite avec un porte-plume,
tantôt à l’encre rouge, tantôt à l’encre noire, selon le déroulement de la
trame scénaristique dans lequel une éditrice sadique et son auteur pervers
outrepassaient les limites de leurs relations professionnelles.
Le texte était toutefois
incomplet : quelques pages vierges, dont la dernière avait été amputée d’un
morceau déchiré à la main, patientaient le temps que Francis y couche la chute
du dernier chapitre.
Exceptionnellement, Geneviève
avait accepté de se rendre chez son poulain pour en discuter. Elle avait failli
perdre ses esprits et rebrousser chemin lorsque, pieds nus, le beau ténébreux à
la longue chevelure blonde et au regard aussi carnassier que celui du jaguar
imprimé sur son t-shirt moulant lui avait ouvert la porte.
— Merci d’être venue,
Geneviève.
Geneviève ignorait
alors que Francis T. était le neveu d’Elias Armand.
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